Propos d’ouverture sur les villes moyennes dans la politique d’aménagement du territoire 

Pendant trente ans, les villes moyennes sont restées absentes de l’agenda de l’aménagement du territoire. D’un côté, les métropoles, de l’autre l’espace rural. Entre les deux, il semble ne rien y avoir. Les villes de l’entre-deux demeurent invisibles, prises en étau dans une pensée binaire du territoire. Il est difficile de les définir et d’ailleurs pourquoi? Autant l’espace rural bénéficie d’une tradition séculaire d’intervention publique agricole, autant les villes, qu’elles soient petites ou moyennes, constituent un résidu de tout ce qui n’est pas métropole. À la rigueur, le périurbain pourrait avoir une existence, ne serait-ce que pour le stigmatiser. Mais les villes moyennes? Elles sont par essence moyennes, elles constituent t des territoires ordinaires qui ne nécessitent pas de politiques exceptionnelles s’adressant à des territoires extraordinaires, qu’elles relèvent de la compétitivité ou de la solidarité.

Il est difficilde les définir elles sont affaire de perception.

Et puis, il est difficile de les définir, elles sont affaire de perception. Selon le contexte géographique, une ville de taille similaire est moyenne là, alors qu’elle est petite ou grande ailleurs. Bref, alors qu’elles représentent invariablement 20% de la population et 30% d s citadins, la ville moyenne demeure un objet réel non identifié’.

Les paradoxes du fonctionnement territorial.

C’est sur cet arrière-fond que l’aménagement du territoire a voulu reprendre la diversification de ses interventions urbaines et repenser la question des villes moyennes. D’abord, il s’agit de s’appuyer concrètement sur la matière première territoriale. Or, celle-ci a fortement muté. Avant, l’exode rural faisait affluer la main-d’œuvre dans les marchés d’emploi des villes, du bas vers le haut, dans une logique d’armature urbaine hiérarchisée. Les villes moyennes avaient été conçues, dans une logique d’équilibre, pour servir d’arrêt intermédiaire à la déferlante urbaine vers le haut de la pyramide. Aujourd’hui, les Français pratiquent le butinage territorial, selon leurs besoins: Leurs trajectoires migratoires ont inversé la morphologie du territoire. Ils se déplacent horizontalement (périurbanisation) quelle que soit la taille des villes qu’ils quittent, il se dirigent vers les villes petites et moyenne, les communes péri urbaines et rurales, ils « descendent JI vers les territoires de la moitié occitane du pays, y compris les moins denses, ainsi que vers les rivages maritimes ou fluviaux. Le cadre de vie, le confort territorial, devient un élément fondamental de localisation, alors que c’était la disponibilité d’emplois qui primait jusqu’aux années 1980. La hiérarchisation urbaine n’est

A bas bruits, les villes moyennes reviennent sur la scène publique, à travers notamment une expérimentation menée dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire renouvellée.

Dans cet article d’ouverture, Priscilla de Roo, chargée de mission à la Datar, plaide pour une reconnaissance du rôle des villes moyennes dans la politique d’aménagement du territoire tout en pointant les enjeux sociaux de ces villes. Plus opérante pour rendre compte de la révolution territoriale silencieuse à laquelle on assiste aujourd’hui.

Ainsi, on constate un décalage territorial flagrant entre les impératifs affichés de compétitivité productive des entreprises et les pratiques de recherche des aménités résidentielles des habitants. La première déploie la forme spatiale de la polarisation; la seconde, celle de la diffusion. L’aménagement du territoire a pour fonction existentielle de réduire l’écart entre efficacité et équité, productivité et solidarité. Il est donc important aujourd’hui qu’il puisse se mettre en situation de rapprocher l’économie productive et l’économie résidentielle, autrement dit, de réduire l’écart entre la polarisation économique dans les métropoles (souvent produite par les politiques publiques) et la diffusion résidentielle dans l’espace rural et périurbain.

Une interface territoriale stratégique 

L’hypothèse développée est donc la suivante. Un espace de l’entre-deux permettant cette réconciliation existe, ce sont les villes moyennes. Elles peuvent constituer une interface stratégique, mais à condition de devenir des espaces d’intermédiation plutôt que des strates « intermédiaires » étanches de l’armature urbaine. Pour cela, il s’agit de construire et renforcer leur fonction tout à fait fondamentale de mise en connexion dans une économie de flux, une sociologie de mobilités et un territoire de réseaux.

Par ailleurs, cette fonction d’interface doit être différenciée selon les contextes géographiques. Leurs caractères, et donc leurs fonctions, sont bien plus déterminés par la « plaque territoriale » à laquelle elles appartiennent que par leur effet de taille moyenne. Elles gardent malgré tout des caractères communs hérités de leur rôle historique de pôles de services administratifs, ainsi que de leur passé fordiste. Les villes moyennes constituent un filet de sécurité contre le chômage du fait de la présence d’emplois publics. La dynamique des emplois privés n’y est pas de reste, en particulier dans les secteurs économiques d’intermédiation, ce qui n’est pas négligeable dans une économie de flux. Du point de vue de l’équité territoriale, elles représentent dorénavant le premier niveau de recours pour les services rares que demandent les nouvelles populations résidentes (enseignement supérieur et recherche, santé, transports). Seul point noir: leur centralité est fortement mise à mal par la concurrence que leur livrent les communes péri urbaines et rurales de leur pourtour. C’est pourquoi cette fonctionnalité a été spécifiquement expérimentée.

Une expérimentation 

Il s’agit donc de parier sur le rôle de chaînage des villes moyennes dans les réseaux territoriaux et de construire ce pari sur une démonstration de terrain. L’expérimentation « 20 villes moyennes témoins »3 a testé ce pari. La fonction de connexion des villes moyennes ne répond pas tant à un impératif d’équilibre territorial qu’à une obligation de diffuser l’économie de la connaissance et l’innovation productive, ainsi que de nouveaux services de qualité à la personne. Voilà l’apport des villes moyennes à l’aménagement du territoire contemporain: permettre de dépasser le constat qu’il fait bon y vivre pour leur donner les moyens de diffuser plus finement sur le territoire les ferments de la croissance. En ce sens, on peut considérer les villes moyennes comme des pôles de compétence naturels. Leurs antennes universitaires, leurs écoles d’ingénieurs, leurs lycées techniques sont directement et depuis longtemps branchés sur le tissu économique local, voire national ou international. Ce sont aussi potentiellement des pôles résidentiels innovateurs où pourront se regrouper des services stratégiques : accès à la gare intermodale, rabattement sur le TGV, diplômes universitaires reconnus, recherche fondamentale appuyée sur de grands laboratoires métropolitains’, transfert technologique, plateaux techniques de santé de qualité … Ce sont ces types de services qui représentent désormais la nouvelle génération de services attendus par la population.

Les villes moyennes comme des pôles de compétence naturels

Voici pour l’ambition. Quelques mots à présent sur les partis pris et les méthodes choisies pour mener l’expérimentation. Le slogan « Expérimenter avec l’État une conduite renouvelée de l’action publique» les résume. D’abord, le choix d’expérimenter un nombre restreint (quatre) de politiques publiques structurantes pour l’avenir des villes moyennes: l’enseignement supérieur et la recherche, la santé et l’offre de soins, les transports et l’accessibilité, et le renouvellement des centres urbains. La préférence a été mise sur des politiques qui relèvent de la responsabilité pleine et entière de l’État ou des collectivités supra locales. Ce sont également des politiques dont les responsables portent le discours le plus polarisateur et induisent une pratique de regroupement sur de grands ensembles. Par ailleurs, plutôt que de soutenir des projets de territoire dont les collectivités ont maintenant line grande pratique, nous avons fait le choix d’inverser le regard et d’examiner les effets territoriaux de grandes politiques verticales. Enfin, ces quatre thèmes touchent

les cahiers du Développement Social et Urbain n°53 premier semestre 2011

conjointement aux enjeux de compétitivité productive et d’attractivité résidentielle par les services offerts à – la population. Le renouvellement urbain et la question des centres-villes constituent l’incarnation spatiale du bouquet de services à offrir.

Pour tester la fonction de charnière des villes moyennes dans l’organisation territoriale de ces politiques, l’accent a été mis sur le segment de la relation à la grande ville proche, celui de la relation avec l’espace rural n’étant pas contesté. Il est en permanence nécessaire aux acteurs locaux de déployer des trésors de conviction et de démonstration pour mettre en place des complémentarités avec la métropole, des spécialisations, des rationalisations … Pour y parvenir, la pleine responsabilité des négociations a été donnée aux collectivités locales (intercommunalités) qui devaient réunir pour ce faire, non seulement l’État et les collectivités territoriales, mais surtout les opérateurs techniques directement concernés et qui tiennent les vrais leviers de décisions (universités, ARS, RFF, SNCF, ANRU, ANAH, etc.). L’une des innovations méthodologiques et politiques a été ce dialogue tripartite mené localement.

Des laboratoires sociaux 

Ni la question du social ni celle du développement soutenable n’ont toutefois été posées en tant que telles dans l’appel à projets des villes moyennes, pour la simple raison que ce sont des dimensions transversales immédiatement intégrées dans la problématique de l’expérimentation. D’ailleurs, le simple fait de mettre l’accent sur les villes moyennes aujourd’hui, c’est par nature prendre en compte le social et le sociétal ! De plus, les villes moyennes abritent plutôt des couches populaires ou moyennes même si le mouvement migratoire y amène de nouvelles populations qui n’hésitent plus à y travailler.

Mais faisons l’effort d’isoler les enjeux sociaux des quatre politiques publiques expérimentées. D’abord, les transports et l’accessibilité.

La politique de la ville est bien placée pour savoir que la facilitation de la mobilité est un puissant facteur d’intégration territoriale, que ce soit pour la diversité de l’accès aux services du bassin de vie ou aux activités du bassin d’emploi. Ceci pour la mobilité interne à l’agglomération. Mais accessibilité signifie également ouverture sur l’extérieur. Les habitants des villes moyennes, en particulier les jeunes, ne sont donc pas condamnés à s’immobiliser dans des stratégies résidentielles ou d’emplois de proximité. Ensuite l’enseignement supérieur. Les villes moyennes ont connu dans les années 1980 une floraison d’antennes universitaires et d’IUT. Mais aujourd’hui, il s’agit pour ces pôles locaux de rehausser leur offre de diplômes, de permettre une recherche appliquée ou fondamentale, de manière à ce que les villes moyennes ne constituent pas des nasses à diplômes de seconde zone et puissent réinventer les processus de mobilité sociale ascendante qu’elles ont connus dans les années d’expansion. Pour ce qui est des politiques de santé, l’enjeu social n’est pas à démontrer. Mais, comme dans le cas de l’enseignement supérieur, il s’agit d’améliorer la qualité des plateaux techniques pour offrir des soins de qualité, de rationaliser les équipements hospitaliers privés et publics pour répondre aux exigences de nouvelles populations urbaines et périurbaines plutôt que de jouer sur la transformation systématique des centres hospitaliers en maisons de retraite. Enfin, la question du renouvellement des centres-villes reste socialement la plus épineuse. Les villes moyennes souffrent souvent d’une perte de centralité due à l’attractivité de leur environnement rural et tendent à concentrer la pauvreté en centre-ville, dans de l’habitat social de fait. De plus, les services publics et activités économiques se dispersent dans l’agglomération, ce qui provoque une perte de substance financière renforçant encore l’appauvrissement de la ville-centre. Mais cette question de la répartition des ressources, tout comme celle de l’habitat social, reste un non-dit qu’aucun document d’urbanisme n’a encore réussi à transcender. Dans les villes moyennes, comme dans les autres, la distinction sociale prend une forme résidentielle et territoriale de plus en plus affirmée.

De l’ensemble de ces points de vue, les villes moyennes constituent de véritables laboratoires territoriaux et sociaux.

PrisciLla De Roo 

  1. Roger Brunet «  Villes moyennes, point de vue de géographe » _. Les villes, moyennes. Espace, société, patrimoine, PUl, Lyon. 1997. 
  2. INSEE Première, n°1364. aout 2011
  3. Datar « 20 villes moyennes témoins http://villesmoyennestemoins.fr
  4. Priscilla  De Roo .» Les villes moyennes.des interfaces d’execellence » Urbanisme hors série n°38 sur les universités, décembre 2010.